Elle aimait le bercement provoqué par le mouvement de sa jument brune, Epona. A vrai dire, c’était la seule chose qui semblait l’apaiser en ce moment. Elle aimait fermer les yeux, et se délecter de la douce caresse des rayons du soleil sur son visage, du délicat chant des oiseaux, du sifflement du vent, de l’odeur de la lavande, des hélianthes si subtile, si exquise … Elle qui ne pouvait se passer de l’agitation de la Cour, aimait retrouver le calme de la nature lors de ses ballades à cheval.
Elizabeth ouvrit les yeux mais se protégea rapidement des rayons du brûlant astre en utilisant sa main gauche comme visière. La vision de l’ombre des arbres sur l’herbe, et la sensation de la chaleur du soleil sur son épiderme lui arracha un sourire. « A chaque fois que je serais loin de toi, observe le soleil, et souviens toi qu’à chaque regard posé sur cette immense et brulante étoile, mes pensées vont vers toi. ». Elle n’aimait pas John, et elle savait qu’il ne l’aimait pas non plus, elle n’était pas dupe. Mais ils s’appréciaient, malgré leur désaccord sur certains points, et de nombreux secrets.
Elizabeth se mordit la lèvre de honte. Elle avait toujours été une femme fière, et franche, mais porter un enfant pendant 8 mois pour finalement découvrir qu’il n’était rien de plus qu’un enfant mal formé, qu’un monstre, n’était pas vraiment une chose à se vanter d’avoir eu. De toute manière, cet enfant, ce fils, n’aurait jamais eu aucune chance de pouvoir survivre dans ce monde, n’est-ce pas ? Elle tentait de se rassurer, de se dire que ce n’était pas si grave que ça. De plus, elle aurait été répudiée, on aurait dit d’elle qu’elle était maudite, qu’elle portait la marque du diable, et, cela, elle n’aurait jamais pu l’accepter. Elle serra vivement les lanières de sa jument. Si seulement elle avait pu se confier à quelqu’un, à John, à n’importe qui d’autre, elle s’en trouverait tellement soulagée : ce fardeau était trop lourd pour les épaules d’une seule personne, et même pour celles d’Elizabeth d’York.
Non, John ne méritait pas de savoir, cela lui briserait encore plus le cœur. A présent, il avait deux merveilleux fils, cela ne servait à rien de rouvrir les blessures du passé. Il était tellement gentil, il faisait tout pour la rendre heureuse, et joyeuse, en vain. La mine d’Elizabeth s’assombrit. Elle en avait été si heureuse, elle avait dansé au point d’en avoir mal aux jambes pendant des semaines et des semaines, elle avait chanté en s’en arracher les cordes vocales, le règne d’Edward lui avait apporté tant de joie en plus d’un mariage prestigieux. Il lui avait donné le même rang que celui de sa mère, et à cette pensée, un sourire fier et arrogant s’étira sur ses lèvres. Elle avait toujours eu ce besoin insatiable d’être plus grande, plus puissante que n’importe qui. Et pourtant, elle avait toujours eu besoin de plus, son ambition semblait la ronger, et cela encore plus depuis l’accession au trône de son frère aîné.
Récemment, une idée, certes folle, mais pas tout à fait idiote avait commencé à se faire une place dans un coin de son cerveau. John lui avait dis que c’était absurde, mais elle savait que non. Si, par pur hasard, la reine ne pouvait avoir de fils, pourquoi son propre fils, à elle, ne pourrait-il pas monter sur le trône ? Edward accepterait sûrement, c’est vrai, ils étaient proches et ils s’adoraient. Maintenant, il ne restait plus qu’à attendre, encore et encore. Mais elle était patiente, elle l’avait toujours été. Certes, elle appréciait sa belle-sœur, mais l’idée d’être la mère du roi l’excitait encore plus qu’elle ne l’aurait avoué. Elle aurait une prestigieuse maisonnée, et les ambassadeurs de l’Europe toute entière viendraient s’incliner devant sa beauté et sa magnificence.
D’ailleurs, en parlant d’ambassadeur, Elizabeth se souvint d’une conversation avec l’ambassadeur de France. Au fur et à mesure que la conversation avançait, ils s’étaient tous les deux posés des questions sur la jeune Marie de Coutances. Cette petite était douée de ses mains, très douée, et elle était trop intelligente et bien éduquée pour n’être qu’une simple domestique. Elizabeth fronça un instant les sourcils : mais qui donc la jeune Marie pouvait-elle être ?
Elizabeth soupira en voyant le Palais se dessiner à l’horizon. La ballade avait été beaucoup trop courte. Elle aimait le bercement provoqué par le mouvement d’Epona, et, souvent, elle aimait retrouver le calme de la nature.